Samedi 11 Juin 2016 à 15:00
Avant, Marineland, c’était des orques qui effectuaient des sauts périlleux sur une musique techno assourdissante. Des dresseurs en Néoprène qui couraient autour du bassin en tapant furieusement des mains comme des GO du Club Med, ou qui faisaient du surf sur le dos des prédateurs. Mais ça, c’était avant. Ouvert au début des années 70, le parc aquatique situé à Antibes le jure, une main sur le cœur : tout a changé.
Fini le bling-bling, désormais Marineland est tout entier tourné vers sa mission pédagogique, résumée par un nouveau slogan chic et choc : «Apprendre, découvrir, s’amuser». Dorénavant, le show avec les orques s’intitule «Représentation sur la protection des océans». Inouk, le mâle, continue à faire coucou avec la nageoire, à dire oui et non avec la tête et à lever la queue sur commande, mais un film diffusé sur l’écran au-dessus du bassin débite des infos sur la puissance de l’animal, sa vitesse de nage et la répartition des individus (libres) sur le globe. La bande-son, aussi, a changé, passant de la discothèque de station de ski au film de Walt Disney, ambiance symphonie grandiloquente un brin tire-larmes.
Nouveau statut d' »êtres sensibles »
Hélas, ces ajustements ne sont pas de nature à calmer les centaines de manifestants massés à l’entrée du parc. «En milieu naturel, les orques peuvent parcourir jusqu’à 160 km dans une journée. Une piscine en béton, ce n’est pas leur place, c’est tout !» assène une jeune femme habillée tout en noir. Depuis l’été dernier, tous les quinze jours ou presque, ces militants anticaptivité transforment l’entrée du parc en cimetière, plantant une croix symbolique pour chaque cétacé ayant trouvé la mort dans les bassins. «On n’insulte personne, on ne fait qu’informer les visiteurs, souligne l’une des chefs de file de la mobilisation, Christine Grandjean, fondatrice du collectif C’est assez ! Par exemple, on rappelle qu’en Europe 14 pays ont déjà interdit les delphinariums.» Avec deux autres associations, C’est assez ! a porté plainte en décembre 2015 pour «maltraitance animale». Fin mars, l’ONG Sea Shepherd leur a emboîté le pas en assignant Marineland en justice pour le même motif. Les activistes ne visent pas les soigneurs, dont l’attachement aux mammifères n’est pas remis en question, mais le principe même de la captivité.
En quelques années, le traitement que nous réservons aux animaux s’est invité dans les débats. Les parlementaires ont amendé le code civil pour leur accorder le statut d’«êtres sensibles». Les conditions d’abattage des cheptels déclenchent des polémiques nationales. L’opinion publique s’insurge lorsqu’un dentiste américain abat un lion de manière illégale au Zimbabwe. Pas de doute, notre niveau de tolérance à l’égard de la souffrance animale est en baisse. Et ni les zoos, dont Marineland fait partie, ni les cirques n’échappent à cette lame de fond. Peut-on enfermer des bêtes sauvages pour le seul plaisir de s’en distraire ? Au carrefour de l’éthique, de l’écologie et de l’économie, la question déchaîne les passions et provoque des engueulades qui atteignent le célèbre point Godwin à la vitesse de l’éclair.
En mars 2016, il a suffi que le maire de La Ciotat, Patrick Boré, annonce l’interdiction dans sa commune des cirques détenant des animaux sauvages pour qu’il soit instantanément traité de «nazillon» par Gilbert Edelstein, le PDG du cirque Pinder. «Les cirques ne peuvent offrir aux animaux sauvages un espace et des conditions de détention et de transport adaptés à leurs aptitudes et à leurs mœurs», insistait Patrick Boré dans une tribune au site LePlus. Dans la foulée, pas moins de six communes ont pris des arrêtés similaires, portant à 21 le nombre de villes refusant les cirques qui présentent des numéros avec des tigres, des lions, des éléphants, des hippopotames, des chameaux ou encore des ours.
Une sensibilité que Franck Schrafstetter, président de l’association Code animal, spécialisée dans la défense de la faune sauvage captive, voit aussi monter auprès du grand public. «Nous recevons tous les jours des demandes de citoyens qui souhaitent devenir « enquêteurs », relève le quadragénaire.Aujourd’hui, nous avons une cinquantaine de personnes sur le terrain qui nous envoient des photos ou des vidéos de ce qu’ils observent dans les cirques ou les zoos.» Sur le site, on trouve en effet des dizaines de séquences, récentes, présentant pour la plupart ce que les spécialistes appellent des «stéréotypies». Des éléphants qui balancent leur trompe de droite à gauche pendant des heures. Ou l’ours polaire de Marineland qui fait des allers-retours sur une bande de 1 m de largeur, se retournant toujours au même endroit, empruntant exactement le même trajet, encore et encore, à l’infini. «Pourquoi il fait ça depuis des heures ? s’interroge un petit garçon devant l’enclos. Il est bête ou quoi ?» Nul besoin d’être éthologue pour comprendre que cet ours, plus équipé pour la banquise que pour les températures azuréennes, a fondu les câbles. Très fréquents chez les animaux en captivité, ces gestes répétitifs sont le signe d’une frustration qui tourne à la folie.
Mais les quelques dizaines d’agitateurs qui s’appliquent à les filmer n’inquiètent nullement Raoul Gibault, directeur du cirque Medrano. «C’est une minorité d’extrémistes qui fait beaucoup de bruit, balaye-t-il. Si encore le public était contre les animaux dans les cirques, on se poserait la question ! Mais nous avons 17 millions de spectateurs par an, c’est notre chance.» Il est vrai que les Français ne sont pas dépourvus de paradoxes : sur le papier, ils se sentent concernés par le bien-être animal. Mais, alors que 23 pays interdisent déjà la présence d’animaux dans les cirques, parmi lesquels la Belgique, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, la Slovénie, la Croatie ou encore l’Inde, le public hexagonal continue à se presser sous les chapiteaux pour admirer des acrobaties sans rapport avec leurs dispositions naturelles.
àA Nice, au pied des gradins de 1 400 places du cirque Medrano, une ombre immense se dessine derrière le rideau vert. Un pachyderme fait son apparition. Puis un deuxième, un troisième, un quatrième, envahissant la piste qui tout à coup semble minuscule. On lève la tête sur ces mastodontes à la peau grise, saisi par ce qui apparaît spontanément comme une incongruité, un monstrueux contresens. L’expression populaire parle d’«éléphant dans un magasin de porcelaine» ; l’éléphant de cirque, assis sur un tabouret, ou posant ses pattes avant sur le dos de celui qui le précède, procure le même effet. Le terme «déplacé» saute à l’esprit. Le dresseur est accompagné de ses quatre fils en costume de scène bleu électrique ; le petit dernier se fait soulever par la trompe d’un des animaux. En dépit de leur envergure et de leur démarche fatiguée, les éléphants passent d’un tour à l’autre à une vitesse remarquable. On cherche du regard le fameux ankus, le crochet en métal utilisé par les dresseurs pour blesser les éléphants quand ils n’obéissent pas. Mais il semble que celui-ci n’en utilise pas. Même ses cris semblent superflus tant les bêtes agissent mécaniquement. En dix minutes, c’est bouclé, et tout le monde repart, sous les exclamations enthousiastes.
Un peu plus tard, le dresseur nous reçoit dans sa caravane. Jovial, Joy Gartner est moitié italien, moitié allemand. Il parle français avec sa femme, italien avec ses enfants, et «allemand avec les éléphants». Pendant que son épouse, Candy, prépare les cafés, il envoie un petit chercher les photos de famille. «On est dresseur de père en fils, je suis la sixième génération !» annonce-t-il fièrement. Il tourne les pages de l’album : paillettes, pachydermes, paillettes. «Moi, je suis né là-dedans. Je sais si les éléphants ont soif, s’ils ont faim, s’ils sont de mauvaise humeur. C’est une culture, on vit avec eux !» dit-il en écartant le rideau. Effectivement, la tête de Belinda est là, à moins de 1 m de la fenêtre. «Elle me cherche, sourit Joy. Il y a des cirques qui les maltraitent, c’est vrai, il y a des directeurs qui s’en foutent complètement. Mais ici, pour les bêtes, on peut dire que c’est le top du top.» Le top du top, c’est donc un coin de parking en bordure d’une voie rapide. Des bottes de foin, un peu d’eau, une tente pour s’abriter du soleil ou de la pluie. Et les tigres qui tournent en rond dans leur cage, à quelques mètres de là. Sinistre, mais légal.
Des contrôles casse-tête
Le cirque Medrano dont Joy Gartner vante les mérites a pourtant été pris en défaut. En mai 2015, les caméras de France Télévisions* ont montré que les cages extérieures réglementaires pour les fauves, d’une dimension de 30 m2, n’étaient pas systématiquement installées, condamnant les bêtes à l’espace confiné du camion. «Nos activités sont définies par un cadre juridique, se défend Raoul Gibault, directeur de Medrano. Les réglementations sanitaires sont extrêmement strictes, c’est d’ailleurs pour ça qu’il y a de moins en moins d’artistes qui travaillent avec des animaux.» En France, on estime qu’un millier d’animaux sauvages vivent dans des cirques. Deux organismes sont chargés de faire respecter la loi : les directions départementales de la protection des populations (DDPP) et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). «Nous essayons d’effectuer des visites régulièrement», nous dit-on à l’ONCFS, sans plus de détails. Comprendre : on fait comme on peut. Car, en pratique, le contrôle des cirques itinérants relève du casse-tête. «Les numéros avec des animaux sont présentés par des artistes indépendants qui travaillent tantôt dans un cirque, tantôt dans un autre, explique Eric Hansen, délégué ONCFS des régions Centre et Ile-de-France. En plus, ils ont des prête-noms, il y a au moins une dizaine de Zavatta, autant de Bouglione… On essaie de les repérer pour constituer une base de données nationale. Mais on peut très bien visiter un cirque qui est aux normes aujourd’hui, et qui ne le sera plus dans quinze jours. Il suffit qu’il embauche de nouveaux artistes.»
Autre problème : lorsque tout indique qu’il faut saisir des animaux maltraités, il arrive que les autorités ne sachent pas quoi en faire, ni ou les replacer. En 2013, en Seine-et-Marne, un éléphant échappé d’un cirque a fauché un joueur de pétanque d’un coup de trompe. L’homme, âgé de 84 ans, n’a pas survécu. Le dénouement de ce fait divers funeste laisse pantois : le directeur du cirque a été relaxé, et l’animal est toujours utilisé dans les spectacles. Lorsqu’on lui demande quel avenir il prédit aux cirques avec animaux, Eric Hansen, le délégué de l’ONCFS, brandit son joker «devoir de réserve». «C’est sûr que passer son temps sur la route, pour des espèces comme ça…» souffle-t-il sans terminer sa phrase. «Les animaux dans les cirques vont finir par être interdits, c’est une certitude, affirme pour sa part Franck Schrafstetter, le fondateur de Code animal. La seule question, c’est : quand ?» Pour l’instant, cette perspective paraît inimaginable aux quatre fils de Joy Gartner, qui lézardent sous le soleil niçois avec leurs animaux de compagnie de 5 t chacun. «Moi, si je ne peux plus travailler avec les éléphants, j’irai dans un zoo, ou j’irai en Inde, affirme Moichel, 16 ans. Sans éléphant, je suis perdu.» Bien qu’il soit conditionné, des deux côtés, par des années de cohabitation imposée, l’attachement mutuel entre l’homme et l’animal ne fait aucun doute.
« LES ANIMAUX DANS LES CIRQUES VONT FINIR PAR ÊTRE INTERDITS, C’EST UNE CERTITUDE. LA QUESTION, C’EST : QUAND ? » LE FONDATEUR DE CODE ANIMAL
Cette complicité constitue d’ailleurs l’argument phare de ceux qui mettent en scène des animaux sauvages. A Marineland, la communication du parc a longtemps répété qu’on ne dressait pas les orques, et que leurs cabrioles étaient réalisées par jeu, dans le seul but de faire plaisir à leurs soigneurs. Une démonstration qui aurait du mal à convaincre les spectateurs ayant assisté, en direct, à la mise à mort de Dawn Brancheau, attaquée en plein show par l’orque dont elle s’occupait tous les jours. L’accident a eu lieu en 2010, au parc SeaWorld d’Orlando, aux Etats-Unis. Il est le point de départ du documentaire Blackfish, qui raconte en détail l’histoire de l’orque en question, Tilikum, depuis sa capture au large de l’Islande en 1983. La direction de SeaWorld a bien tenté de faire passer le carnage pour un «jeu» ayant mal tourné. Manque de bol, les documentaristes ont exhumé le rapport d’autopsie, qui évoque un corps scalpé, fracturé et disloqué, précisant pour finir que le bras de la victime n’a jamais été retrouvé. Tilikum n’a pas voulu taquiner sa soigneuse, il l’a dévorée, renouant avec un instinct de prédateur qui, en milieu naturel, se cristallise sur les phoques. La diffusion de ce film a entraîné une chute spectaculaire du nombre d’entrées à SeaWorld, qui a fini par capituler : le 17 mars dernier, le parc a non seulement annoncé qu’il arrêtait les spectacles avec les orques, mais surtout qu’il mettait fin à son programme de reproduction. Les cétacés qui vivent aujourd’hui à Orlando seront donc les derniers. Rideau.
Evidemment, cette décision radicale, saluée par C’est assez ! et les autres associations anticaptivité, a donné un sacré coup de chaud aux responsables de Marineland. Lesquels ont déjà essuyé une tempête, de celles dont le Sud cévenol a le secret, qui a ravagé les installations en octobre 2015 et provoqué la fermeture du site pendant près de six mois. Valentin, âgé de 19 ans seulement – la longévité moyenne des orques mâles à l’état naturel est de 30 ans -, est mort quelques jours après les inondations. L’année précédente, c’était sa mère, Freya, qui mourait elle aussi à un âge prématuré pour une orque. Pas de quoi arranger les rapports avec les militants qui campent à l’entrée du site. A sa réouverture en mars 2016, le parc a donc décidé de tout miser sur un axe marketing déjà testé et approuvé par les zoos traditionnels : l’argument pédagogique. Désormais, Marineland «sensibilise les visiteurs à la conservation de la nature et aux espèces marines». Sauf que, pour l’instant, les soigneurs, auxquels on a demandé d’ajouter un vernis scientifique à leur spectacle, pataugent dans la semoule. Durant la représentation intitulée «Les Missions d’un zoo moderne», les otaries marchent sur les nageoires et dansent en tournant sur elles-mêmes sur une musique de dessin animé. L’animatrice du show essaye, elle, de distiller quelques infos sérieuses: «Marineland finance une association sur place, qui va… éduquer les populations locales aux… euh… à la chasse, pour essayer de protéger et renforcer ces animaux.» On ne connaîtra ni l’association, ni où elle officie, et on n’aura pas plus de renseignements sur les «populations locales» auxquelles on apprend à chasser – et peut-être à jouer aux échecs ? Nul doute que les enfants sont sortis édifiés par cette démonstration hautement éducative.
Jean-Claude Nouët, professeur de médecine et cofondateur de La fondation droit animal (LFDA), est excédé par ce qu’il appelle la «malhonnêteté fondamentale» des zoos. «Ça ne peut pas être scientifique de donner à voir des animaux qui n’ont pas des comportements normaux. Ils s’adaptent pour survivre, mais ce ne sont pas des exemples de l’espèce !» tonne cet infatigable pourfendeur de la captivité. Selon lui, on n’apprend rien à observer un lion qui ne sait plus chasser, une orque qui n’a jamais croisé une algue, ou un éléphant qui vit seul, quand ses congénères ne se déplacent jamais sans une harde d’une dizaine d’individus. Dans les années 70, ces arguments avaient affecté l’image des zoos, qui s’étaient trouvés en sérieuse perte de vitesse. «Mais maintenant ils ont confié leur image à des agences de pub, déplore le professeur Nouët. Le zoo de Beauval, c’est l’un des pires : c’est vraiment de la communication faite pour les andouilles, ces affiches avec les gorilles et les pandas.» Outre l’astuce de faire de quelques individus des «superstars», les zoos ont aussi travaillé leur vocabulaire. Les animaux ont écopé du titre d’«ambassadeurs». Les enclos sont des «biozones». Enfin, on ne va plus au zoo, c’est «la nature qui reçoit».
Il serait pourtant malhonnête de prétendre que les conditions de détention des animaux dans les zoos ne se sont pas améliorées. La mode n’est plus aux perroquets qui ne peuvent pas voler, ni même déployer leurs ailes. Il reste bien quelques zoos du genre, comme celui de Strasbourg, où un malheureux lynx dépérit sur son trottoir. Mais les parcs modernes misent sur des enclos plus vastes, mieux «végétalisés», où les animaux peuvent se soustraire au regard des visiteurs s’ils le souhaitent. «On n’a pas la prétention de dire qu’on a recréé leur environnement naturel, mais on a essayé de coller aux comportements biologiques des espèces qu’on accueille», indique Alexis Lécu, le directeur scientifique du Parc zoologique de Paris. Plus connu sous le nom de «zoo de Vincennes», le parc célèbre pour son grand rocher artificiel en béton a rouvert ses portes en avril 2014, après six ans de fermeture et une refonte complète. Avec un succès mitigé. Dans les semaines qui ont suivi l’inauguration, les premiers visiteurs ont tiqué. Motif ? Ils ont payé – cher : 22 € l’entrée – et ils n’ont rien vu. Ou pas assez à leur goût. «Les animaux n’étaient pas encore acclimatés, ils se cachaient, reconnaît la directrice, Sophie Ferreira. Mais il y a aussi quelque chose de plus structurel : les enclos sont grands, il faut accepter que tout ne soit pas immédiat. Quitte à revenir un peu plus tard si on n’a pas pu admirer un animal.» En visitant la serre tropicale, on comprend vite à quoi Sophie Ferreira fait allusion. Collée à la vitre, cherchant désespérément un python parmi les branchages, une dame d’une soixantaine d’années râle à voix haute : «On les voit tout de même mieux au Jardin des Plantes !» Un peu plus loin, un petit garçon se montre lui aussi franchement déçu : «Ça y est, je l’ai vu, il est là. C’est un tout petit lézard de rien du tout.» Le gecko de Madagascar en prend pour son grade.
« Ce que veulent les gens, c’est retrouver un contact avec la nature, analyse Pierre Gay, qui dirige avec son fils le Bioparc de Doué-la-Fontaine, près d’Angers. Il faut susciter l’émotion, c’est la clé du tourisme, quel qu’il soit. J’essaye de rapprocher les visiteurs d’une nature qui ne soit pas trop « disneyïsée ».» Pour le coup, on peut dire qu’il a fait fort. Dans ce qu’il a tenu à appeler «bioparc» et non «zoo», les primates évoluent sur des îles, sans barrière ni grillage. Un mince bras d’eau suffit à éviter qu’ils ne s’échappent. Les tigres dorment, planqués dans des bosquets ; il faut monter dans un perchoir et se contorsionner pour les apercevoir. La volière est haute de 13 m, les girafes se baladent dans une immense carrière qu’elles partagent avec des zèbres. «Etre confronté réellement à un animal, ce n’est pas la même chose que le voir dans un documentaire, ajoute Sophie Ferreira, directrice du Parc zoologique de Vincennes. Il y a une question d’échelle, il y a le bruit, l’odeur.» Mesurer sa petitesse par rapport à un rhinocéros, éprouver sa vulnérabilité face à un guépard : ces zoos new look affirment qu’ils proposent une expérience émotionnelle qui laisse des traces. «Pourquoi pas ? concède Jean-Claude Nouët, de La fondation droit animal. Mais il faut être clair sur ce que l’on fait. On ne préserve pas une espèce, on conserve des spécimens. Pour vraiment préserver les animaux, il faut préserver leurs espaces naturels, leurs biotopes. Ces animaux sont les vestiges d’une nature que l’on détruit, c’est d’une grande tristesse.»
LES PARCS MODERNES MISENT SUR DES ENCLOS PLUS VASTES, MIEUX « VÉGÉTALISÉS », OÙ LES ANIMAUX PEUVENT SE SOUSTRAIRE AU REGARD DES VISITEURS
Les réintroductions dans un milieu naturel, sur lesquelles les zoos aiment communiquer, sont rares, compliquées, et souvent vouées à l’échec. «Ça ne peut fonctionner qu’avec des animaux qui n’ont pas été trop au contact des hommes, souligne Franck Schrafstetter. Ça reste très minoritaire.» Le directeur de Code animal estime même que les zoos contribuent, indirectement au moins, à l’extinction des espèces : «Un enfant qui voit un perroquet magnifique, plein de couleurs, va dire à ses parents : « Je veux un perroquet ! » C’est un oiseau qui devrait vivre dans des canopées, et qui va se retrouver dans un salon. Les zoos transforment les animaux en produits de consommation courante. Il faut sortir de cette logique.» Un ours polaire à Nice, une orque à Antibes, un éléphant en Seine-et-Marne : autant d’espèces qui n’ont rien à faire sous nos latitudes. Sollicitée par Marianne pour faire connaître sa position sur le sujet, la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, n’a pas donné suite à nos demandes répétées. Pour l’instant, les politiques ne semblent pas vraiment pressés de passer la seconde. Liberté du commerce oblige…
Car les animaux sauvages sont, encore et toujours, au centre d’un business lucratif : les cirques vendent leurs places entre 22 et 46 €, Marineland revendique pour l’année 2014 un chiffre d’affaires de 37 millions d’euros. Toujours à l’affût d’un bon coup, deux chaînes de télévision se sont emparées du filon. Le personnel du zoo de Beauval est filmé par les équipes de l’émission «Vétérinaires, leur vie en direct», diffusée le dimanche après-midi sur TF1. On y voit des professionnels dévoués, investis, qui n’hésitent pas à annuler leurs jours de congé pour prendre soin de leurs «ambassadeurs» captifs, le tout dans une mise en scène qui ne craint jamais de tirer les ficelles du pathos. Sur France 4, l’émission «Une saison au zoo» propose de suivre le quotidien des soigneurs du zoo de La Flèche, dans la Sarthe, entre acclimatation d’un tigre blanc fraîchement débarqué et «syndrome de dépérissement du ouistiti». Plus de 700 000 téléspectateurs enthousiastes ont assisté au lancement de la saison 5. Comme quoi, la nature, c’est bien, mais la nature spectacle, c’est encore mieux.
* Cirque Gruss : une tradition en danger ?, documentaire diffusé le 4 mai 2015 sur France 5.