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Le débat soulevé par l’intervention de Ségolène Royal autour de la question de l’huile de palme présente dans les pâtes à tartiner est vital pour les grands singes. A l’heure actuelle, le qualificatif « durable » apposé à l’huile de palme, qui se base sur les critères de la certification RSPO (Table ronde sur l’huile de palme durable, en anglais Round Table on Sustainable Palm Oil), n’est pas une garantie suffisante, pour le consommateur, de ne pas participer à la destruction de la forêt tropicale et à la disparition de nos plus proches parents, les grands singes.
Convertir une forêt tropicale en monoculture industrielle est un fléau écologique. Des études menées en Malaisie estiment que la conversion de 50 hectares de forêt en monoculture de palmiers à huile entraîne la perte de 820 espèces d’arbres, mais également une réduction de 80 % à 90 % du nombre des espèces d’oiseaux, de papillons et de mammifères. Faute d’habitat, les orangs-outans se retranchent souvent dans les plantations où ils seront tués ou capturés pour être vendus illégalement à des parcs d’attractions peu scrupuleux.
RSPO, la seule certification qui existe aujourd’hui, autorise l’établissement de plantations de palmiers en monoculture après la coupe rase de tourbières ou de forêts en régénération… Y est autorisé également l’usage de pesticides, certains si toxiques qu’ils sont interdits en Europe (le Paraquat).
Alors que les forêts dites « primaires » n’existent pratiquement déjà plus, ces forêts « secondaires » ou « en régénération » sont aujourd’hui un refuge de biodiversité. C’est pourtant bien dans ce type de forêt secondaire que l’équipe de primatologie du Muséum national d’histoire naturel étudie une communauté de chimpanzés sauvages en Ouganda, dont la densité est parmi les plus fortes connues au monde.
Menace sur les derniers gorilles
Les ravages de ces monocultures sur les populations d’orangs-outans, qui ne vivent qu’en Malaisie et Indonésie (pays qui produisent 80 % de l’huile de palme du monde), sont indiscutables. Il ne reste plus que 6 500 orangs-outans à Sumatra et 60 000 à Bornéo. La demande toujours croissante en huile de palme de la part des pays émergents mais aussi de l’Europe souligne l’urgence de l’application de mesures plus strictes.
Désormais, les grandes firmes s’implantent en Afrique, menaçant également les derniers gorilles et chimpanzés. Alors que 70 % des grands singes ont déjà disparu dans les cinquante dernières années, fermerons-nous encore les yeux sur les conditions de la production des produits qui les condamnent dans un futur proche ? C’est ce qui arrivera si on transplante en Afrique le modèle de production qui s’est développé en Asie.
Une des plus grandes entreprises asiatiques de production et de commercialisation d’huile de palme certifiée RSPO a choisi l’Etat de Cross River au Nigeria pour s’implanter. La concession se trouve dans la zone tampon de la réserve de faune d’Afi, proche du parc national de Cross River, une zone pourtant définie comme prioritaire pour la survie des 3000 chimpanzés et 300 ultimes gorilles des deux sous-espèces de grands singes qui y subsistent. La même société est accusée d’avoir exproprié des petits paysans en Ouganda, sans compenser la perte de leurs terres et de leurs ressources alimentaires.
Un groupement d’une douzaine d’industriels réunis dans l’Alliance pour une huile de palme durable promet de dépasser les standards actuels RSPO, en termes de respect de l’environnement et des droits des communautés locales. Ces intentions louables sont présentées dans des chartes que chaque société s’engage individuellement à respecter, avec l’aide de divers organismes et ONG impliqués dans la protection de l’environnement.
A ce jour cependant, aucun organisme de contrôle indépendant ne vérifie leur application. Il ne faut pas attendre l’échéance de 5 ans proposée par ce groupement et que des effets irréversibles se soient produits sur les forêts africaines pour mettre en application ces pratiques : de telles échéances seraient incompatibles avec la survie des grands singes.
L’importation, une aberration
Devant la demande en huile de palme à bas coût des pays émergents tels que l’Inde ou la Chine et cette expansion vers l’Afrique où l’éthique est bafouée, un autre modèle de développement est possible, basé sur une impérative planification nationale et transnationale.
Choisir des terres déjà défrichées pour l’agriculture, avec un modèle agricole de type agroforesterie (mélange d’espèces cultivées) ou de mosaïques paysagères, ménager des corridors permettant le déplacement des populations animales, limiter l’usage de pesticides en impliquant le développement socio-économique des communautés locales serait impératif.
Sans oublier que la production africaine d’huile de palme ne couvre pas les besoins du marché intérieur de ce continent, alors que c’est l’exportation qui est favorisée. Ce constat révèle une autre aberration : en Europe, les importations d’huile de palme issue de monocultures industrielles, dont les propriétés agroalimentaires sont recherchées, explosent alors que des huiles végétales « traditionnelles » produites en Europe sont en partie orientées vers les agrocarburants.
Plutôt que d’encourager de telles aberrations, ne serait-il pas cohérent de chercher à remplacer en partie ce produit d’importation par des huiles végétales de colza et de tournesol qui seraient produites au Nord, pour l’agroalimentaire, de façon durable et écologique ?
Le débat se porte donc bien au-delà de notre pot de pâte à tartiner : pour le produire, lui et tous les autres aliments que nous consommons (souvent avec plaisir, plus souvent encore sans savoir ce qu’ils contiennent), ce sont autant de choix de modèles agricoles, commerciaux, de relations internationales qui sont concernés.
Au-delà de la question de la préservation des grands singes et de la reconversion des forêts en monocultures, nos actions quotidiennes de consommateurs doivent orienter ces choix.
Sabrina Krief, maître de conférences et primatologue, et Serge Bahuchet, professeur et ethnoécologue, commissaires de l’exposition « Sur la piste des grands singes » du Muséum national d’histoire naturelle.
Thomas Grenon, directeur général du Muséum national d’histoire naturelle.
Nicolas Hulot, président de la Fondation pour la nature et pour l’homme.
Avec la contribution d’Anne Lemarcis, auteure d’une étude intitulée « Le palmier à huile entre deux mondes. Approche du palmier à huile en situation d’interface (Gabon) », pour son master 2 au Muséum national d’histoire naturelle (2012).
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/06/23/la-monoculture-du-palmier-a-huile-menace-toujours-la-vie-des-grands-singes_4659589_3232.html#M1pB603J20FrVe7z.99