Les droits des animaux participent à la reconnaissance d’un droit à la vie !

Les droits des animaux participent à la reconnaissance d’un droit à la vie !

4/05/2014 | par Laurence Harang | dans Art & Société |

 

Droits des animaux
Laurence Harang, docteur en philosophie, réagit à l’éditorial de Claude Obadiapublié sur iPhilo le 22 avril 2014 et qui s’interrogeait : « Qu’est-ce qui nous retiendra de traiter les hommes comme des bêtes quand on se sera convaincu que les bêtes doivent être traitées comme des hommes ? ». iPhilo est un espace de débat et d’échange où le droit de réponse est toujours le bienvenu !
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Pourquoi la question du droit des animaux apparaît pour certains comme absurde alors que pour d’autres elle est justifiée moralement ?

Il faut pour comprendre l’idée d’un droit des animaux en percevoir toute la radicalité : accorder des droits, c’est accepter la reconnaissance de l’autonomie d’un être. Or, priver un être de liberté, c’est lui retirer toute capacité à être « sujet. » Il est dès lors évident que l’exploitation des animaux à seule fin de l’instrumentaliser est une négation pure et simple de son droit à vivre. En conséquence, le droit de l’homme à dominer l’animal –  à des fins d’exploitation, à des fins d’expérimentation, à des fins de jouissance perverse – constitue une injustice car aucune souffrance ne peut être justifiée moralement.

C’est pourquoi, les droits des animaux participent à la reconnaissance d’un droit à la vie, à la liberté et à l’interdiction de torturer un être sensible. La défense du droit des animaux est donc radicale dans la formulation de ses principes. Le philosophe et juriste Tom Regan (Les droits des animaux, 2013, Hermann, traduction d’Enrique Utria) dans son œuvre magistrale « Les droits des animaux »  l’affirme en toute clarté :

« Le mouvement des droits des animaux est un mouvement abolitionniste ; notre but n’est pas d’élargir les cages, mais de faire qu’elles soient vides. »

Il ne s’agit pas seulement de reconnaître des intérêts aux animaux mais plus précisément d’en faire « le sujet d’une vie », concept essentiel chez Regan. Précisons la nature du débat entre Peter Singer, philosophe utilitariste, auteur  deAnimal liberation  (1975) de celle de Tom Regan : défendre l’intérêt d’un animal selon le philosophe utilitariste, c’est le respecter dans son intégrité car l’animal, comme l’homme ressent la souffrance et le plaisir. Il est donc immoral de faire souffrir l’animal, en vertu d’une conception utilitariste du bien. La considération morale à l’égard de l’animal repose sur le refus de toute discrimination, c’est-à-dire de toute forme de spécisme (Ryder) : le spécisme est une attitude qui consiste à privilégier les intérêts de sa propre espèce. Ainsi, l’exploitation des animaux est justifiée en vertu de la supériorité de l’homme – de même que le racisme et le sexisme justifient l’exploitation des femmes et des noirs.

Or, pour Singer, « tous les animaux sont égaux. Ou pourquoi le principe éthique sur lequel repose l’égalité humaine exige que nous étendions l’égalité de considération aux animaux. »

En ce sens, la souffrance animale au même titre que celle de l’homme doit être reconnue : il n’y a pas de différence éthique à établir. Mais « l’égalité de considération » n’implique pas « l’égalité de traitement », car le cochon n’a pas forcément les mêmes intérêts qu’un être humain.

Mais ne peut-on pas constater une faille dans le raisonnement du philosophe utilitariste Singer ? Suffit-il de juger de la considération morale d’un être en vertu de sa capacité à souffrir ? Certes, le « welfarisme » (bien-être) ne s’oppose pas toujours à « l’abolitionnisme » ; mais la position du juriste Regan apparaît fondamentale quant à l’idée d’un droit de l’animal. En effet, les animaux ont une valeur « inhérente » qui fait d’eux des êtres à part entière, indépendamment de l’intérêt de l’homme. L’animal est le « sujet d’une vie » qui est sensible, qui a des expériences, éprouve du plaisir  (pour éviter tout malentendu, Regan évoque « un mammifère normal »). L’animal a donc des préférences, des désirs et des croyances :

« Certains non humains ressemblent aux êtres humains normaux de manière moralement pertinente. »

Il ne suffit donc pas d’avoir des « devoirs indirects » envers les animaux comme le recommande Kant ; mais il est nécessaire de reconnaître une valeur intrinsèque aux animaux afin de leur attribuer des droits. Il faut de ce fait traiter les animaux pour eux-mêmes, comme des êtres qui ont des buts. Il s’agit de défendre l’idée d’une justice sociale qui interdit d’infliger aux animaux des souffrances : cette exigence morale concerne aussi bien les animaux que les êtres vulnérables. C’est pourquoi, la question du droit des animaux n’est pas en opposition avec les droits humains.

Tout au moins, en vertu de notre responsabilité à l’égard de l’animal, cessons de faire des êtres sensibles et conscients des objets à exploiter ! A ce titre, Regan introduit une distinction entre un « agent moral » et un «  patient moral » : les premiers sont capables de délibérer, d’accéder à des principes moraux universels car ils sont en mesure de distinguer le bien du mal. En revanche, les seconds, les patients moraux – les enfants, les handicapés, les animaux – ne sont pas toujours en mesure de délibérer, de choisir ce qui est bien ou mal. Mais ils restent vulnérables et ne doivent pas par conséquent être privés de droits ni se voir infliger des souffrances en vertu de leur faiblesse.

Il semble important au regard des progrès de l’éthologie, de la connaissance de l’animal, de nous demander pourquoi la société refuse d’accorder une valeur morale à l’animal, pourquoi elle continue à nier son « humanité » alors que d’autres choix politiques sont possibles !

 

Laurence Harang

Docteur en philosophie, professeur à Toulon, Laurence Harang est l’auteur de deux ouvrages : Agir gratuitement, la grande illusion ? (presse de la Renaissance, 2013) et La valeur morale des motifs de l’action (L’harmattan, 2012). Elle est membre du Comité radicalement anti-corrida (CRAC).