REGNE ANIMAL / Par Jean-Baptiste del Amo

REGNE ANIMAL / Par Jean-Baptiste del Amo : « Quatre cents pages époustouflantes de chair, de sang, de boue fangeuse, portées par une écriture flamboyante, décrivant « une agonie sans fin dans une ferme croulante, cernée par l’odeur, le hurlement des porcs et la barbarie des hommes ».

Coups de coeur, coup de griffe, décryptage… L’Express a passé au tamis la rentrée littéraire. Cette semaine, les romans français sont à l’honneur. Peu de têtes d’affiche mais de belles lectures.

Règne animal, par Jean-Baptiste del Amo

Porc royal

Une fresque sur la famille et la sauvagerie humaine à travers l’histoire d’un élevage porcin. Un roman époustouflant.

On oublie parfois que les patrimoines génétiques de l’homme et du cochon ont beaucoup en commun. Ce rappel biologique n’est toutefois pas la seule qualité du quatrième roman – fruit de cinq ans de travail – de Jean-Baptiste del Amo, dont le titre claque comme un coup de fouet: Règne animal. Quatre cents pages époustouflantes de chair, de sang, de boue fangeuse, portées par une écriture flamboyante, décrivant « une agonie sans fin dans une ferme croulante, cernée par l’odeur, le hurlement des porcs et la barbarie des hommes ».

Jean-Baptiste del Amo

Jean-Baptiste del Amo

J. Benhamou/SDP

L’exploitation a en effet bien changé. Le domaine où a grandi Eléonore, au début du XXe siècle, dans lequel on ne pouvait guère engraisser qu’un ou deux animaux, a laissé place dans les années 1980 à une porcherie industrielle tenue par ses descendants – Henri, Serge, Jérôme… Ces derniers usinent désormais « des bêtes débiles, […] des êtres énormes et fragiles à la fois, et qui n’ont même pas de vie sinon les cent quatre-vingt-deux jours passés à végéter dans la pénombre de la porcherie, un coeur et des poumons dans le seul but de battre et d’oxygéner leur sang afin de produire toujours plus de viande maigre propre à la consommation ». Mais ce rapport à l’animal ne serait-il pas symptomatique des relations entre humains?

Révélé en 2008 avec Une éducation libertine (salué par le Goncourt du premier roman), Jean-Baptiste del Amo dresse ici un parallèle dérangeant et pertinent entre l’élevage et l’éducation, la reproduction des êtres vivants et celle de l’Histoire. L’une des grandes forces de cette ambitieuse fiction tient à sa construction elliptique, qui se concentre sur deux périodes (de 1898 à 1917 d’un côté, l’année 1981 de l’autre) et impose deux écritures différentes (lyrique dans la première moitié, sèche dans la seconde), afin de faire ressentir l’évolution de la sauvagerie.

C’est ainsi que l’écrivain décortique la transmission de la violence et la complexité des liens familiaux – qu’on croirait tirées de… Massacre à la tronçonneuse (l’une des références « officieuses » de l’auteur, grand amateur de cinéma d’horreur)! Au-delà de la richesse thématique, on est surtout emporté par la puissance picturale des scènes et la sensibilité sauvage des mots, par instants dignes du meilleur Cormac McCarthy. Une noire splendeur.

Baptiste Liger

RÈGNE ANIMAL, par Jean-Baptiste del Amo. Gallimard, 424p., 21€.