Alors que la saison débute à peine, des apiculteurs accusent d’importantes pertes dans leurs ruchers, pouvant atteindre un taux de 100% dans certains endroits, notamment en Aquitaine.
En ouvrant les ruches après l’hiver, certains apiculteurs de la moitié sud de la France ont eu une très mauvaise surprise. Lydie, apicultrice à côté de Montauban (Tarn-et-Garonne), fait part de son désarroi à francetv info. « On a perdu 70% du cheptel. On n’a pas touché aux ruches durant tout l’hiver. Là, on vient de découvrir que certaines étaient désertes, et dans d’autres, les abeilles sont mortes à l’intérieur alors qu’elles avaient encore de la nourriture ! » Selon les apiculteurs, le taux de mortalité habituel se situe plutôt aux alentours de 5%.
Même constat pour Marie-Paule Douat, présidente de la Fédération apicole de Charente-Maritime. « C’est affolant. J’ai eu un appel hier, l’apiculteur était en pleurs. Sur neuf colonies, il lui en reste deux vivantes. Un autre a perdu 500 ruches sur les 2 000 qu’il possédait. »
L’Unaf, l’union nationale d’apiculture, confirme : « On a entendu parler de l’intoxication de certaines ruches, en particulier en Aquitaine. Pour l’instant, la saison n’a démarré que dans le Sud, parce que le printemps y est plus précoce, mais on en est au tout début. On ne connaît pas encore l’ampleur du phénomène. »
« A cause des pesticides, un milieu pollué tout le temps »
Si de nombreux apiculteurs n’ont aucune explication, pour Marie-Paule Douat, le constat est clair : « Les abeilles ne meurent pas de faim puisqu’elles ont encore de quoi manger dans les ruches. Elles meurent empoisonnées. » En cause, les pesticides utilisés dans les cultures industrielles, qui contaminent le pollen. « Les abeilles font des provisions qu’elles consomment tout l’hiver, et c’est comme cela qu’elles s’empoisonnent petit à petit. »
Affectés par les pesticides, ces insectes perdent le sens de l’orientation, ne retrouvent plus la ruche et se fatiguent, comme l’ont déjà prouvé plusieurs études. Pour celles qui parviennent à la ruche, la partie n’est pas gagnée. « Le problème, c’est que les pesticides s’accrochent particulièrement au gras, et donc à la cire de l’abeille, qui constitue son habitat, explique Danielle, apicultrice en Charente-Maritime depuis plus de quarante ans. Elle vit donc dans un milieu pollué tout le temps. »
« Si la colonie est affaiblie par intoxication, elle n’en est que plus vulnérable aux parasites, aux virus… et ainsi, toutes les pathologies opportunistes peuvent s’installer », affirmait dès 2009, à Sciences et Avenir, Jean-Marc Bonmatin, chargé de recherche au CNRS, spécialiste des neurotoxiques chez les insectes.
« 2014, la production de miel la plus faible de notre histoire »
Le phénomène ne date donc pas de cette année. « Pour nous, ça a commencé il y a une vingtaine d’années, avec l’apparition des pesticides néonicotinoïdes, se souvient Danielle. Aujourd’hui, on produit deux fois moins de miel qu’avant cette période. » Selon l‘Unaf, la production entre 1995 et 2014 est passée de 32 000 à 10 000 tonnes. Le syndicat souligne que l’année dernière, « la production nationale a été la plus faible de notre histoire ».
Si la mortalité des abeilles semble si élevée en 2015, Danielle et son mari pensent que c’est à cause des conditions climatiques, qui ont poussé les agriculteurs à traiter très tardivement leurs cultures.
« Est-ce à cause du traitement sur les vignes ou sur le blé d’hiver, s’interroge Marie-Paule Douat. Il faudrait faire des analyses mais ça coûte très cher. Je suis actuellement en train de faire un bilan sur le département, mais c’est aux politiques de prendre ça en main. » Pour toute la filière apicole, c’est l’heure du bilan.
Pour vérifier le lien qu’ils établissent entre pesticides et mortalité, Danielle et son mari ont installé des ruchers d’expérimentation à différents endroits du département. Un à côté de La Rochelle, un perdu dans la campagne, à côté des champs, un autre dans le sud, une zone plus sauvage. Résultat : « Une aberration ! Les abeilles en milieu urbain se portent beaucoup mieux que celles à la campagne. Là-bas, nous n’arrivons pas à garder nos colonies, elles meurent. Dans le sud, elles sont en excellente santé. »
« Beaucoup de paramètres peuvent éradiquer une colonie »
Les disparités sur le territoire sont notables : tous les apiculteurs contactés par francetv info ne dressent pas le même constat. « Chez moi, il n’y a pas plus de mortalité que les autres années », remarque Jean-Marie, apiculteur en Charente.
« Il y a tellement de paramètres qui peuvent faire disparaître une colonie », soupire Luc, passionné depuis 40 ans et très actif. Lui élève des abeilles locales, et pratique une apiculture raisonnée, « dégagée des contraintes de rendement à tout prix », comme Danielle et son mari. Il pointe du doigt les pratiques de certains professionnels qui ont développé une apiculture intensive. « Nourissement intensif pour stimuler la ponte, traitement des colonies avec des produits non homologués parce que moins chers… », énumère Luc.
« Certains apiculteurs achètent des reines productivistes qui font beaucoup d’abeilles et sont présentes dès les premières floraisons », témoigne Danielle. Des reines fabriquées artificiellement à partir de caractéristiques de différentes races, explique-t-elle. Ces nouvelles reines sont mal adaptées à notre environnement et plus fragiles.
Luc critique aussi les « amateurs sans expérience ». « L’apiculture, même de loisir, ne peut plus se pratiquer comme autrefois », en laissant la ruche vivre d’elle-même. « Elle nécessite suivi et connaissances. » « Les amateurs ne s’informent pas suffisamment, confirme Danielle. Parfois, ils perdent beaucoup d’abeilles et ne savent pas pourquoi. »