Recherche : Le droit animal entre à l’université

Recherche Le droit animal entre à l’université
Le Ceere (Centre européen d’enseignement et de recherche en éthique) de l’Université de Strasbourg vient de créer un master « Éthique et Sociétés » avec une spécialisation « Animal : science, droit et éthique ». Une première en France.
Le 12/05/2015 05:00 par Textes : Geneviève Daune-Anglard , actualisé le 11/05/2015 à 20:54 Vu 1853 fois
Connaître le droit des animaux pour mieux les protéger ? Archives L’Alsace/

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« Fin janvier, l’Assemblée nationale a reconnu aux animaux la qualité d’être vivants doués de sensibili-té » , explique Cédric Sueur. « Du coup, il nous a semblé intéressant que l’Université de Strasbourg puisse proposer une spécialisation sur la question animale dans le master ‘‘Éthiques et Sociétés’’. Nous avons ainsi créé deux modules, ‘‘Droit de l’animal’’ et ‘‘Éthique animale’’ en formation initiale ou continue, qui démarreront dès la rentrée de septembre 2015 », ajoute-t-il. Une première en France où une telle formation n’existait pas, contrairement à d’autres villes européennes, comme Barcelone par exemple, qui propose un master en droit animal.
Réhabilitation des animaux d’expériences

Cédric Sueur est impliqué depuis longtemps dans la protection animale, et notamment dans la réhabilitation des animaux de labora-toire, pour trouver à les replacer plutôt que de les euthanasier à l’issue d’un programme de recherche. Il est aussi maître de conférence à l’Université de Strasbourg et spécialiste en éthologie, impliqué au sein de la commission pour l’expérimentation animale.

« J’ai réalisé que les chercheurs avaient peur de cette réhabilitation, reprend-il. J’ai ensuite rejoint une fondation Droit animal, Éthique et Sciences, car je cherchais à trouver comment faire pour protéger les animaux mais aussi les chercheurs et les utilisateurs des animaux en recherche, élevage et dans l’industrie pharmaceutique. »

Pour cet universitaire, l’éthique animale correspond à une conviction personnelle mais sans sectarisme. « Je ne suis pas contre la recherche avec les animaux, je ne suis pas végétarien et je me méfie beaucoup des extrêmes… D’où mon intérêt à me pencher sur la question, de ce qu’on a le droit de faire et de ne pas faire. »

Il revient ainsi sur l’affaire du girafon euthanasié dans un zoo danois, disséqué et donné à manger aux lions ensuite. « Les Français n’ont pas accepté cette histoire, mais il n’y avait rien contre le droit. En revanche, on pouvait en discuter d’un point de vue éthique car l’éthique dépend de la société dans laquelle on vit, de la religion et de l’éducation. Il y a ainsi plein d’éthiques à prendre en compte et le défi est de trouver un consensus qui satisfait tout le monde. » Ainsi, il ne faut pas confondre éthique et droit : « L’éthique est une réflexion morale de ce que pense une personne ou un groupe de personnes. L’éthique fait souvent avancer le droit. »
Un droit éparpillé dans différents textes

Le droit, c’est ce qui est inscrit dans la loi française. Jean-Marc Neumann est président de l’Eurogroupe pour l’étude du droit animal et fondateur du site « Animal et Droit ». Avec Cédric Sueur, il est aussi coauteur de la spécialisation « Animaux : sciences, droit et éthique ». « Le problème, explique-t-il, est que les règles qui s’appliquent aux animaux sont réparties dans quatre codes : civil, pénal, rural et de l’environnement. Et ces codes ne disent pas tous la même chose. Ainsi, le code pénal ne dit pas que les animaux sont des êtres sensibles mais le reconnaît implicitement dans les dossiers de cruauté envers des animaux. Quant au code de l’environnement, il ne reconnaît pas la sensibilité de l’animal. »

Pour compliquer les choses, les codes civil, pénal et rural ne s’adressent qu’aux animaux domesti-ques, alors que le code de l’envi-ronnement prend en compte les animaux sauvages. Et si le code pénal reconnaît la cruauté envers les animaux, il admet des exceptions (tauromachie, combats de coq, abattages rituels, etc.) au nom de la tradition, de la culture ou de la religion.

Le code civil, pilier du droit français, ne disait rien sur la question jusqu’en 1999, année où on a différencié les animaux des objets. « La reconnaissance de la sensibilité de l’animal a été faite par souci de cohérence , poursuit Jean-Marc Neumann, pour des magistrats ayant à juger des affaires concernant un animal, comme par exemple dans un divorce. Mais on ne définit pas ce qu’est un animal, ni non plus ce qu’est un être sensible… »
Une portée pratique limitée ?

Même si cette adoption de janvier en a fâché plus d’un, le juriste estime que sa portée pratique sera limitée. « On n’a jamais eu autant de projets de fermes industrielles qui nient la sensibilité animale qu’au moment où on met en avant cette sensibilité animale , souligne-t-il. Et les transpositions des directives européennes en la matière sont à géométrie variable en France. Il y a un monde entre le discours et la pratique ! »

L’idée du cours, c’est de former des étudiants et des professionnels au droit applicable aux animaux, tel qu’il existe actuellement en France, « avec l’espoir d’aboutir à une meilleure protection des animaux. À long terme, cela peut changer la vision de l’utilisation des animaux et de leurs droits. » Car pour Jean-Marc Neumann, il est de l’intérêt de tous de bien traiter les animaux, pour des raisons sanitaires, mais aussi « parce que de nombreuses études ont montré que ceux qui maltraitent les animaux maltraitent aussi leur conjoint et leurs enfants … Ou on a un cœur, ou on n’en a pas du tout ! Humains et animaux, on fait tous partie de la même planète. Il y a donc des liens à maintenir entre nous. »