Sauver les animaux, sauver les hommes : même combat.

Sauver les animaux, sauver les hommes : même combat.

Aurélien Brulé a changé de nom depuis plus de 17 ans. Pour les Indonésiens, et pour tous ceux qui connaissent son association Kalaweit, il est « Chanee », « gibbon » en thaï. Parce qu’ils sont sa passion depuis l’adolescence, eux et tous les grands singes. C’est ce qui l’a conduit à débarquer en Indonésie à l’âge de 18 ans. Il était seul, autodidacte, mais il savait déjà que leur sauvegarde, leur survie, était le combat de sa vie.

En 1998, Chanee créé son association Kalaweit, un programme de conservation gibbons, des grands singes, et de leur habitat. Il a réussi à se faire connaître en fondant une radio indépendante en Indonésie, qui sensibilisait les populations locales aux problématiques liées à la déforestation engendrée par la production de l’huile de palme et à la destruction de l’habitat des animaux sauvages.

Aujourd’hui, Kalaweit est le plus grand projet au monde de sauvegarde des gibbons, fait travailler une cinquantaine de personnes, vétérinaires, soigneurs, et surtout gère cinq réserves qui abritent de multiples miraculés, des grands singes aux crocodiles en passant par les ours, tous chassés de leur forêt et pourchassés par les hommes qui ne veulent pas vivre à leurs côtés.

Le 27 avril, Chanee a publié un nouveau livre « Inéluctable, la parole des crocs », dans lequel il raconte ses expériences, de plus en plus nombreuses, de sauvetages d’animaux sauvages. Mais comment sauver ces animaux malheureux et rendus dangereux par la perte de leurs repères, de leur équilibre, quand ils tuent des enfants, de pauvres villageois ? Comment faire comprendre aux populations qu’il faut les défendre et respecter la vie sauvage ? Que faire face à des autorités indifférentes voire complices des stratégies économiques des grandes compagnies et du profit à court terme ? Chanee tente de répondre à toutes ces questions, et même si la frustration, la colère, la résignation pointent parfois, il n’a qu’une seule idée en tête : « continuer le combat, et on fera le bilan plus tard ».

Pet in the City : entre notre dernière interview il y a deux ans et aujourd’hui, beaucoup de choses se sont passées, que vous racontez dans votre livre. Il faut bien le dire, il est très « dur »…

Chanee : Vous avez trouvé ? (rires). Tout ce que j’essaie de dire, à travers ces récits d’expériences difficiles, c’est que face à cette réalité, on doit continuer d’agir pour sauver tout ce qu’on peut, même si c’est dérisoire par rapport à la destruction globale de la forêt indonésienne et aux conséquences que cela engendre.

Ces deux dernières années, j’ai été de plus en plus appelé pour gérer des conflits entre faune sauvage et populations locales. La solution la plus simple envisagée avant mon intervention, c’est de tuer les animaux. Après tout, un crocodile, un ours de plus ou de moins, ça n’a pas beaucoup d’importance… Mais le problème remonte plus loin : jusqu’à présent, ces animaux ont toujours vécu sans problème avec les humains. Aujourd’hui, ils les attaquent. Pourquoi ? Avec la destruction de leur habitat, un équilibre a été rompu. Comme je le dis à la fin de mon livre, ces animaux sont des messagers, ils nous annoncent de graves dangers environnementaux à venir. Est-ce en tuant les messagers qu’on résoudra le problème ? C’est l’impression qu’ils me donnent, il faut les écouter.

Pet in the City : Le plus difficile n’est-il pas de faire comprendre tout cela à des populations qui ont d’autres soucis, à commencer par leur propre survie ?

Chanee : Effectivement. Les premières victimes de ces animaux sont les pauvres, et plus généralement, ils sont et seront les premières victimes de la destruction de la planète. En vivant près des zones de déforestation, ils sont plus facilement agressés par les animaux chassés de leur forêt. Dans ce cas précis, ni les animaux, ni les humains, n’ont plus de choix de vie. Quant aux autorités, elles n’ont aucune vision globale. Elles sont dans le déni, et ne considèrent les problèmes que comme des cas isolés. Les conflits sont donc inévitables. Et même s’il existe des réserves nationales protégées par la loi sur le papier, sur le terrain, la réalité est totalement différente.

Pet in the City : Les Indonésiens sont-ils indifférents à la destruction de leur faune et flore ?

Chanee : Ce n’est pas tant de l’indifférence qu’une sorte de méfiance, face à mon discours par exemple. Les autorités mettent la conservation au second plan et ne voient aucun lien entre la qualité de vie des gens et le fait de sauver des animaux. Ce qui compte, ce sont avant tout les considérations économiques. De leur côté, les populations considèrent que la sauvegarde des écosystèmes est incompatible avec leur nouveau mode de vie, puisque celui-ci n’est plus lié à la forêt. Et moi-même, alors que je vis depuis 17 ans en Indonésie, on me traite encore comme « le blanc de service », et je me surprends d’ailleurs à être régulièrement à côté de la plaque : ainsi dans ce village où j’entendais des vocalises comme celles des gibbons, j’ai failli péter un câble parce qu’on ne me donnait pas le singe… Il s’agissait en fait d’une handicapée qui chantait. C’est ce genre de moments qui vous remettent à votre place. Donc je ne suis pas là pour donner des leçons, seulement pour trouver une solution.

Pet in the City : Méfiance ou indifférence en Indonésie, moqueries en France (votre récit de la chroniqueuse folle chez Ardisson est à ce titre terrifiant)… C’est difficile de se faire entendre quand on défend les animaux, non ?

Chanee : Effectivement, j’ai souvent reçu des moqueries, mais chez Ardisson, même si ça s’est fait dans la douleur, j’ai pu m’adresser à un nouveau public. Je pense que si les écologistes suscitent moquerie ou indifférence, c’est aussi leur faute. Il faut rendre notre message plus sexy. Après tout, les grandes compagnies font de la publicité et arrivent à vendre de tout, pourquoi pas nous ? Loin de l’image chiante et défaitiste que nous renvoyons souvent, il nous faut montrer le côté positif, fun de ce que nous faisons, parce que sauver des animaux, c’est génial.

Pet in the City : En faisant des émissions populaires, des bouquins tous les deux ans, Kalaweit a-t-elle reçu plus de soutien, plus d’attention ?

Chanee : Oui, clairement. Je suis passé chez Ardisson en avril 2013, depuis j’ai également une émission, « Kalaweit Wildlife Rescue » sur la première chaîne d’information indonésienne, je sors des livres à peu près tous les deux ans, cela élargit à terme le spectre des personnes attirées par notre combat et notre démarche, qui en comprennent l’importance. Nous sommes de plus en plus soutenus, mais nous avons évidemment de plus en plus de besoins, pour l’achat d’hectares de forêts notamment. Cela nous permet de créer nos propres réserves et c’est formidable.

Pet in the City : compte tenu des problématiques que nous avons évoquées, avoir ses propres réserves semble la solution la plus simple ?

Chanee : Oui. Non seulement nous continuons à agrandir nos réserves actuelles, mais nous allons en ouvrir une autre sur l’île de Siberut au large de Sumatra. C’est pour cela que je n’ai pas le temps de me lamenter : l’association ne s’est jamais mieux portée, en un an, avec l’émission-télé, la jeune génération indonésienne est de plus en plus mobilisée, on a fait un pas de géant. J’ai une assise qui tient le coup en Indonésie, nous possédons 243 hectares de forêt, 20 sur Bornéo, je dois donc mettre la main sur le maximum d’hectares possible et pour cela, j’ai besoin de fonds financiers. C’est pour ça que je suis en France en ce moment : pour réunir de quoi acheter 60 hectares de forêt, à 1000-1500 l’hectare. A mon niveau, j’essaie d’être le plus efficace possible, je n’ai pas le temps d’être désespéré ou pessimiste. On fera le bilan plus tard.


« Inéluctable : la parole des crocs« ,
Chanee.
Editions du Midi, 19 euros.

 

Plus d’informations

Site Internet de Kalaweit : www.kalaweit.org

Le Blog de Chanee : http://chaneekalaweit.blogspot.com

L’association a besoin de dons réguliers. Pour la soutenir, vous pouvez devenir un Ami de Kalaweit, en faisant un don mensuel de 5 euros (minimum). Toutes les informations sur ce lien : http://www.kalaweit.org/formulaires.php?form=amis